Géopolitique de l’ombre. Les forces spéciales sont composées de personnels d’origines variées regroupées au sein du COS. Elles sont organisées autour d’unités du premier cercle comme les commandos de nageurs de combat, des régiments parachutistes chargés de l’infiltration et des actions de reconnaissance en profondeur et de détachements de l’armée de l’air pour assurer le transport. Il s’agit d’un outil de puissance non négligeable pour la France dans la nouvelle configuration géopolitique.
Présentation du livre de Pascal Le Pautremat, Les guerriers de la république, forces spéciales des services secrets français, 1970 - 2009, éditions Choiseul (2009).
Nous remercions Bruno Modica d’avoir autorisé la publication sur le diploweb.com de cet article initialement publié sur le site Les Clionautes.
SPECIALISEES dans les questions de géopolitique et de défense, les éditions Choiseul publient un ouvrage qui mérite largement l’attention dans la mesure où il fait le point sur des questions qui sont a priori peu familières à la plupart des observateurs de l’actualité. Pourtant, depuis l’effondrement du système soviétique, les interventions des services spéciaux, bras armés de l’État français n’ont jamais été aussi nombreuses. Plus délicates aussi. En effet, la nature de la menace a changé. L’opposition n’est plus idéologique, dans le sens où elle représente un modèle alternatif, mais multiforme. Le travail de Pascal Le Pautremat traduit un intérêt évident pour ces questions. Dans une première partie, il présente l’évolution des forces spéciales des services spéciaux, depuis les années 70. Il est clair que la mutation d’un service dirigé contre la menace soviétique à une organisation multitâches, associant le renseignement, le contre-espionnage, et les services action n’a pas été une tâche spécialement facile. La difficulté du sujet traité dans cet ouvrage tient à la nature « sensible » et dans certains cas « classée » des informations nécessaires à son traitement. Pourtant, comme cela a été constaté lors de la recension du numéro de question internationales consacré par les Clionautes à ce sujet, les informations ouvertes permettent déjà de travailler sur la question avec beaucoup de pertinence.
Le travail de Pascal Le Pautremat est organisé autour de deux thématiques. La première présente de façon assez précise l’organisation des « forces spéciales » et« des services secrets. » Ces services de renseignements sont désormais une composante stratégique à part entière, au même titre que la dissuasion, tel que cela est prévu dans le livre blanc de la défense nationale publié en 2008. L’organisation des services repose sur un commandement des opération spéciales, interarmes et interservices, coordonné par la Présidence de la république. Le commandement des opérations spéciales (COS), placé sous les ordres du Chef d’état-major des armées (CEMA), rassemble l’ensemble des forces spéciales des différentes armées françaises sous une même autorité opérationnelle, permanente et interarmées. Créé en 1992, il a mis en œuvre plusieurs opérations dans toutes les parties du monde. Comores, 1992, Opération Oryx en Somalie, 1992-93, Opération Balbuzard en mer Adriatique, 1993, Opération Amaryllis et Opération Turquoise au Rwanda, 1992-94, Bosnie-Herzégovine, depuis 1994, Haïti, 1994, Opération Azalée aux Comores, 1995, Opération Balbuzard noir en mer Adriatique, 1995, Opération Almandin 1 et 2 en République centrafricaine, 1995-96, Opération Pélican 1 et 2 au Congo-Brazzaville, 1997, Opération Alba en Albanie, 1997, Opération Iroko en Guinée-Bissau, 1998, Opération Licorne en Côte d’Ivoire depuis 1999, Kosovo, 1999, République démocratique du Congo, 2003, Afghanistan depuis 2003, République centrafricaine en 2007, etc. L’auteur revient sur certaines de ces opérations, comme les Comores, dans lesquelles les forces spéciales ont été engagées dans des opérations qui voyaient intervenir des intérêts particuliers. Une des questions posées par l’auteur est de savoir dans quelle mesure les mercenaires de Bob Denard avaient partie liée avec les services officiels. Une des particularité des services français, qu’il s’agisse des unités militaires ou des agents de renseignement dans la composante « action » est la grande porosité existante entre les « officiels » et les groupes privés. L’auteur revient aussi sur de monumentaux ratés, comme la calamiteuse affaire des nageurs de combat d’Auckland.
Faute de consignes claires de la part du pouvoir exécutif, les deux « époux Turenge » chargés de la logistique de la destruction du Raimbaw warrior ont été appréhendés par la justice néo-zélandaise et sacrifiés sur l’autel de la raison d’État. On se souvient que ce navire de l’organisation Greenpeace, miné le 10 juillet 1985 était sensé mener des opérations médiatiques hostiles contre les essais nucléaires français dans le Pacifique, essais nucléaires dénoncés par l’Australie et la Nouvelle Zélande.
Les forces spéciales sont composées de personnels d’origines variées regroupées au sein du COS. Elle sont organisées autour d’unités du premier cercle comme les commandos de nageurs de combat, des régiments parachutistes chargés de l’infiltration et des actions de reconnaissance en profondeur et de détachements de l’armée de l’air pour assurer le transport. D’autres services réunissent linguistes et spécialistes de l’interprétation des images satellitales qui apportent leur expérience en matière d’analyse de données. Le deuxième cercle du COS réunit des spécialistes de la guerre électronique mais aussi le RAID ou le GIGN dont les liens avec la DGSE sont avérés.
Dans la deuxième partie de l’ouvrage Pascal Le Pautremat fait le point sur les différentes opérations citées plus haut dans lesquelles les forces spéciales et les services de renseignement ont été impliqués. La France a maintenu, malgré le discours officiel maintes fois rebattu sur la fin de la France Afrique, des liens très forts avec différents chefs d’État africains, et la disparition d’Omar Bongo l’a confirmé. De ce point de vue, services de renseignements et forces spéciales, sont les chevilles ouvrières de ces actions. Certaines ont eu des bilans largement contestables comme les opérations en Côte d’Ivoire, aboutissant à maintenir l’unité du Pays, mais sans que la France en tire avantage, et l’affaire du Rwanda dans laquelle bien des avertissements ont été ignorés.
La troisième partie de cette étude est un long plaidoyer en faveur du renforcement des moyens de ces unités qui sont engagées dans des opérations de plus en plus complexes mais, dans le meilleur des cas à moyens constants. Le renseignement est quand même, dans une période où l’effort consenti à la défense sert de variable d’ajustement budgétaire, le sel département qui voit son budget et ses effectifs croître. Dans les Balkans, dans l’ex-yougoslavie, au Moyen-Orient, et bien entendu en Afghanistan actuellement, les forces spéciales ont mené et mènent encore des opérations de nature diverse. Dans la cas du Liban, avec les prises d’otages, dans le cas de l’Arabie Saoudite avec l’intervention sur la Mecque, les services français n’ont pas forcément à rougir de leur bilan. La part de l’humain, au delà de l’effort technologique réel qui est engagé, reste primordiale dans la culture française des opérations spéciales. C’est sans doute ces actions, qui, malgré un renforcement du contrôle parlementaire en 2008, permettent au renseignement français de tenir son rang. Une fois informé, le pouvoir exécutif doit décider ou non d’engager les forces spéciales, ces guerriers de la République dont les rares échecs sont retentissants mais dont les succès restent méconnus. L’engagement dans ces services n’est certainement pas compatible avec un ego surdimensionné.
Bruno Modica © Clionautes
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